L’Afrique a été le théâtre de plusieurs génocides et crimes contre l’humanité au cours de son histoire, comme ceux commis au Rwanda, au Burundi, au Soudan ou en République démocratique du Congo. Ces atrocités ont causé d’immenses souffrances aux populations civiles et ont menacé la paix et la sécurité régionales et internationales. Face à ces défis, les États africains ont un rôle essentiel à jouer pour prévenir et réprimer ces crimes, conformément à leurs obligations juridiques et morales.
Dans cet article, nous allons examiner le principe de la responsabilité de protéger, qui a été adopté par les États Membres de l’ONU lors du Sommet mondial de 2005. Ce principe réaffirme la responsabilité première de l’État de protéger sa population contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité, ainsi que contre l’incitation à commettre de tels crimes. Il souligne également la responsabilité de la communauté internationale d’aider les États à renforcer leurs capacités de protection et d’intervenir de manière collective lorsque les États ne sont pas en mesure ou ne veulent pas assurer cette protection.
Nous allons analyser les implications de ce principe pour les États africains, en nous appuyant sur les travaux de Delphine Patetif, une experte française en droit international et en prévention des atrocités criminelles.
Le cadre juridique international et régional applicable aux États africains
Les États africains sont liés par plusieurs instruments juridiques internationaux et régionaux qui leur imposent des obligations en matière de prévention des génocides et des crimes contre l’humanité. Au niveau international, on peut citer la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948), les Conventions de Genève (1949) et leurs Protocoles additionnels (1977), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965), la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984), le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (1998) et la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (2006).
Voici une vidéo expliquant ce principe :
Ces instruments consacrent le droit à la vie, à la dignité, à la liberté et à la sécurité des personnes, ainsi que le droit à ne pas être soumis à des actes génocidaires, à des crimes contre l’humanité ou à d’autres violations graves du droit international humanitaire ou des droits humains. Ils imposent également aux États parties de prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires ou autres pour prévenir ces crimes ou violations, d’enquêter sur les faits allégués, de poursuivre et de punir les auteurs, d’assurer la coopération internationale et d’offrir une réparation aux victimes.
Au niveau régional, les États africains sont membres de l’Union africaine (UA), qui a adopté plusieurs instruments juridiques et politiques relatifs à la prévention des atrocités criminelles. On peut mentionner l’Acte constitutif de l’UA (2000), qui affirme le respect des droits de l’homme, la démocratie, l’état de droit et la bonne gouvernance comme des principes fondamentaux de l’organisation, et qui reconnaît le droit de l’UA d’intervenir dans un État membre en cas de « circonstances graves », telles que le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. On peut également citer la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981), qui garantit les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des individus et des peuples, et qui prévoit la création d’une Commission africaine des droits de l’homme et des peuples chargée de promouvoir et de protéger ces droits.
En outre, l’UA a adopté le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (1998), qui établit une juridiction régionale compétente pour connaître des violations des droits humains commises par les États parties, ainsi que le Protocole relatif au Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme (2008), qui prévoit la fusion de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples avec la Cour de justice de l’UA et qui étend sa compétence aux crimes internationaux, dont le génocide et les crimes contre l’humanité.
L’UA a également élaboré un cadre normatif et institutionnel pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits sur le continent, qui comprend notamment le Conseil de paix et de sécurité (CPS), la Commission de l’UA, le Panel des Sages, le Mécanisme continental d’alerte rapide, la Force africaine en attente et les Communautés économiques régionales. Ces organes ont pour mandat de surveiller la situation sécuritaire en Afrique, d’identifier les risques potentiels ou imminents d’atrocités criminelles, de prendre des mesures préventives ou réactives appropriées, de déployer des missions de paix ou d’intervention humanitaire, de faciliter le dialogue politique et la médiation, de soutenir les processus de paix et de réconciliation, et de renforcer les capacités nationales et régionales en matière de prévention des conflits.
Delphine Patetif aborde les défis et les opportunités pour la mise en œuvre du principe de la responsabilité de protéger en Afrique
Malgré l’existence d’un cadre juridique international et régional solide, les États africains font face à plusieurs défis pour assurer la protection effective de leurs populations contre les atrocités criminelles. Delphine Patetif identifie quatre types principaux de défis :
- Les défis politiques : ils concernent notamment le manque de volonté politique ou la complicité des autorités étatiques dans la commission ou la tolérance des atrocités criminelles, le recours à la violence ou à l’intimidation pour réprimer les voix dissidentes ou les revendications démocratiques, l’instrumentalisation des identités ethniques, religieuses ou régionales pour diviser ou exclure certaines communautés, l’absence ou la faiblesse du dialogue politique entre les acteurs nationaux ou régionaux, ou encore le non-respect des principes constitutionnels ou des accords électoraux.
- Les défis institutionnels : ils se rapportent notamment à l’insuffisance ou à l’inadaptation du cadre juridique national pour prévenir ou réprimer les atrocités criminelles, à l’inefficacité ou à la corruption du système judiciaire national pour assurer l’impunité des auteurs ou la réparation des victimes, à l’inexistence ou au dysfonctionnement des mécanismes nationaux ou régionaux d’alerte précoce ou d’intervention rapide face aux situations à risque, à la faible capacité opérationnelle ou financière des missions de paix ou d’intervention humanitaire déployées sur le terrain, ou encore à la coordination insuffisante ou conflictuelle entre les différents acteurs impliqués dans la prévention ou la réponse aux atrocités criminelles.